Le cinéma dans les Scènes nationales

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Le cinéma dans les Scènes nationales

Interview de Catherine Rossi-Batôt, directrice de LUX Valence par News Tank Culture

La Ferme du Buisson, Scène nationale de Marne-la-Vallée

Catherine Rossi-Batôt, directrice de LUX, membre du bureau de l'ASN est  administratrice référente dans le domaine du cinéma pour notre réseau. Elle répond aux questions de News Tank Culture sur la place du cinéma dans les Scènes nationales (Paris - Interview n°277874 - Publié le 16/02/2023 par NTC ci-dessous)

« La création de la commission cinéma au sein de l’Association des Scènes nationales, en 2012, avait pour objectif de révéler la place du cinéma dans les Scènes nationales et de revaloriser le cinéma aux yeux du réseau. Les directeurs des Scènes nationales faisaient alors preuve d’une certaine résistance, sans doute parce qu’ils se représentaient le cinéma certes comme un art, mais aussi comme un commerce, une industrie. La réalisation de l'étude “Le cinéma dans les Scènes nationales” en 2017 a été un moyen de légitimer le cinéma au sein du réseau », déclare Catherine Rossi-Batôt, directrice du Lux - Scène nationale de Valence.

« La période nous oblige à être inventifs. Le changement n’est pas visible partout, mais il est en cours. Il y a nécessité à éditorialiser nos programmations. Il ne suffit pas de mettre un film à l’affiche : si nous voulons rassembler du public, il faut créer une expérience autour du cinéma. Nous devons épurer nos programmations et revenir à des “bonus” : des temps de parole, de débats, de la convivialité… Tout ce qui va donner envie à des gens qui ont perdu l’habitude de sortir pour voir des films. La dimension supplémentaire, offerte par la présence de musiciens en direct ou d’une parole ajoutée, attire plus de publics », ajoute-t-elle.

Programmation, singularité et formes du cinéma dans les Scènes nationales, conséquences de la crise sanitaire, commission cinéma de l’Association des Scènes nationales, Catherine Rossi-Batôt répond aux questions de News Tank.

Pouvez-vous revenir sur l’histoire du lien entre cinéma et Scènes nationales ?

24 Scènes nationalesont une activité cinémaArt & Essai régulière »

En mai 1959, André Malraux annonce la création des maisons de la culture au Festival de Cannes. Symboliquement, cette annonce se fait durant l’un des plus grands festivals de cinéma du monde et parle d’emblée de pluridisciplinarité, dans laquelle il intègre le cinéma. Dès cet acte fondateur, le cinéma a une place à côté des autres arts. Les premières maisons de la culture, Amiens, Grenoble et Annecy avaient des salles de cinéma. Toutes ne les ont pas gardées : Grenoble, par exemple.

Depuis, l’exploitation cinématographique a évolué, les salles Art & Essai se sont également développées, et un repositionnement a été fait. Aujourd’hui nous comptons dans le réseau des 77 Scènes nationales 24 structures avec une activité cinéma Art & Essai régulière. Le cinéma a néanmoins une place dans chacune des Scènes nationales : accompagnement de la création, diffusion, parcours d’éducation artistique et culturelle, pratiques artistiques pluridisciplinaires… Et certaines salles n’ont pas du tout d’activité cinéma régulière, mais accueillent ponctuellement des festivals de cinéma.

 

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Scènes nationales avec une activité cinématographique régulière

Source : ASN

 

La commission Cinéma en Scènes nationales a été créée au sein de l’ASN en 2012. Quels sont ces objectifs ?

L’objectif de cette commission cinéma est de révéler la place du cinéma dans les Scènes nationales et de revaloriser le cinéma aux yeux du réseau. Au départ, nous étions seulement deux directeurs -Philippe Bachman, directeur de La Comète - Scène nationale de Châlons-en-Champagne, et moi-même- à faire partie de cette commission, aux côtés de programmateurs de cinéma à l’intérieur des Scènes. Les directeurs des Scènes nationales faisaient alors preuve d’une certaine résistance à l'égard de l’activité cinématographique, sans doute parce qu’ils se représentaient le cinéma certes comme un art, mais aussi comme un commerce, une industrie. La réalisation de l'étude Le cinéma dans les Scènes nationales, publiée en 2017, a été un moyen de légitimer le cinéma au sein du réseau.

La commission est aussi un groupe de réflexion sur ce qui se joue en termes de renouvellement des esthétiques et des pratiques. Elle s’ouvre sur d’autres thématiques et projets, comme les « captations montées », des captations de spectacles pensées comme des créations à part entière.

La dimension du collectif est très importante : nous voulons donner une dynamique de réseau. Travailler sur des projets en commun est plus simple par le cinéma. Nous pouvons faire des programmations communes, les faire circuler d’une salle à l’autre… L’ASN travaille également avec les autres réseaux et labels du spectacle vivant, tels que les CDN, les CCN, mais aussi avec le Syndeac. Il y a une vraie coopération, qui a été accélérée par la crise sanitaire. 

Durant la période de confinement, pour nouer le réseau autour d’un projet commun, j’ai proposé l’idée d’un documentaire de création consacré à nos scènes. Nous nous sommes associés avec le cinéaste Nicolas Philibert et le réalisateur Jacques Deschamps. Ce documentaire a pour but de révéler une partie de notre action, nos missions, nos valeurs, nos engagements. Il a été tourné dans des Scènes nationales qui, pour certaines comme les Gémeaux, n’ont pas du tout d’activité de cinéma. Le film sera diffusé en 2023 à travers le réseau, mais aussi dans les salles de cinéma, sur une chaîne de télévision et sur Internet. Je trouve formidable que le premier projet de création au sein de l’ASN soit un film.

Quel impact a pu avoir la crise sanitaire sur les cinémas des Scènes nationales ? 

La pluridisciplinarité est un levier pour faire venir des publics »

Nous avons perdu certains publics. Je rencontre parfois des spectateurs qui me disent qu’ils ont même oublié qu’ils pouvaient venir au cinémadans notre maison. Nous constatons moins cette perte d’habitudes dans le spectacle vivant où il y a eu un retour massif des publics. Ce retour a mis plus de temps pour le cinéma, sans doute lié à la massification des plateformes et des pratiques individualisées. Le cinéma a été mis à mal par les fermetures des salles en raison de la crise sanitaire, des jauges réduites et de la concurrence exacerbée des plateformes. Et à cet égard, les grands complexes et multiplexes souffrent aujourd’hui plus que nous. Si les chiffres de 2022 ne sont pas mauvais, c’est uniquement grâce aux blockbusters comme « Avatar 2 ». 

Le réseau Art & Essai résiste mieux, accusant une baisse de fréquentation de 15 % sur 2022. Au Lux, nous constatons une baisse de moins de 10 %. Les Scènes nationales résistent mieux parce qu’elles sont outillées et ont des équipes de relations avec les publics. La pluridisciplinarité est aussi un levier pour faire venir des publics au cinéma. De plus, la part de fonctionnement du cinéma étant intégrée au budget global de nos maisons, nous souffrons moins s’il y a des baisses de recettes. Le nombre de Scènes nationales ayant une ou plusieurs salles de cinéma a même augmenté. Certains ont repris l’exploitation cinématographique, comme la Scène nationale de Chambéry

Dans un contexte de mutations des pratiques, comment le modèle des cinémas dans les Scènes nationales va-t-il évoluerà l’avenir ?

La période nous oblige à être inventifs. Le changement n’est pas visible partout, mais il est en cours. Il y a nécessité à éditorialiser nos programmations. Il ne suffit pas de mettre un film à l’affiche : si nous voulons rassembler du public, il faut créer une expérience autour du cinéma. Nous devons épurer nos programmations et revenir à des « bonus » : des temps de parole, de débats, de la convivialité… Tout ce qui va donner envie à des gens qui ont perdu l’habitude de sortir pour voir des films. La dimension supplémentaire, offerte par la présence de musiciens en direct ou d’une parole ajoutée, attire plus de publics.

Réfléchir aux nouveaux espaces et aux nouvelles scènes que sont la VR et le métavers »

Lors des périodes de fermeture, le Lux a été incité à faire des activités en direction des 15-25 ans. Nous avons créé une assemblée de jeunes cinéphiles, en leur proposant tout d’abord différents ateliers un peu singuliers de podcast, de projections cinématographiques, mais aussi d'écriture, de réalisation, d’analyse. Nous les accompagnons dans leur découverte. Ce travail autour de la transmission est dans l’ADN même des Scènes nationales.

Ces jeunes sont symptomatiques d’un changement : ils viennent de tous les horizons et n’ont pas tous une culture cinéphile. Je leur ai proposé de créer des contenus sur les réseaux sociaux, mais ils préfèrent les activités sur place. Ils veulent rencontrer des gens, échanger autour du cinéma. Ils témoignent de ce retour au réel, à la présence humaine. Il faut leur laisser de la place. Une de ces jeunes représente maintenant l’assemblée des jeunes cinéphiles au CA, un autre est devenu projectionniste au Lux.

La forme du cinéma dans les Scènes va-t-elle aussi évoluer ?

Les « captations montées » sont de plus en plus présentes. Elles montrent qu’aujourd’hui, il y a plusieurs façons de voir des spectacles. La commission cinéma de l’ASN travaille ainsi avec Gildas Leroux de la Compagnie des Indes à des captations de spectacles dans nos scènes, ainsi qu’à des créations autour de ces captations. Nous organiserons par exemple une journée « Filmer la danse, de la captation aux expériences augmentées » au Lux, le 15/03/2023, avec l’idée de réfléchir aux nouveaux espaces et aux nouvelles scènes que sont la VR et le métavers. De nouveaux formats, de nouvelles formes se créent dans ces espaces, qui pourraient nous permettre d’aller vers des publics que nous ne pourrions pas atteindre autrement.

Les enjeux de diffusion et de production sont extrêmement liés dans l’audiovisuel et le cinéma. Dans quel espace peut-on voir des œuvres chorégraphiques aujourd’hui ? L’étude La captation de spectacles vivants , réalisée par François Hurard et Sylvie Clément-Cuzin, publiée en octobre 2022, montre que cette part de diffusion est très limitée aux œuvres les plus populaires (surtout sur les chaînes généralistes), les expérimentations étant marginalisées. Il faut réunir les acteurs de la création et les diffuseurs pour envisager un partage qui laisse plus de place à la création.

Le Lux organisait, du 25 au 31/01/2023, le festival Viva Cinéma. Comment s’inscrit-il dans l’identité et la programmation du Lux ?

Le festival Viva Cinéma est un temps fort et un concentré du projet que nous menons tout au long de l’année. J’ai pris la direction du Lux en portant un projet sur les dialogues entre les arts visuels et les arts de la scène. Le champ des arts visuels est assez large puisqu’il va de la photographie aux arts numériques, avec une belle place réservée au cinéma. Pour les arts scéniques, je me suis centrée sur la danse et les musiques, de manière complémentaire avec la Comédie de Valence. La programmation du Lux s’incarne à travers une saison pluridisciplinaire de spectacles chorégraphiques, musicaux, de propositions autour des arts visuels, de six expositions et d’une programmation cinéma éditorialisée.

Viva Cinéma proposait cette année sept spectacles, principalement des ciné-concerts, et s’inscrit dans l’année du documentaire. Nous avons par exemple organisé une reconstitution d’une séance de cinéma de 1908, mêlant des courts-métrages et des performances, des numéros de chant, de la musique comme cela se faisait à l’époque. Nous avons également accueilli des cinémathèques venues présenter des films restaurés, ainsi que des expositions de photos.

 

Extraits de l'étude "Le cinéma dans les Scènes nationales" (2017)1/4

Typologie
  • « Plus de la moitié de Scènes nationales œuvrent pour la diffusion cinématographique ».
  • 30 % des Scènes nationales disposent d’une ou plusieurs salles de cinéma dans le cadre d’une exploitation régulière.
  • 23 % mènent une diffusion sous forme d’événements, de festivals ou de cycles.

L’ensemble des salles de cinémas dans les Scènes nationales appartient à la « petite exploitation », soit les cinémas réalisant moins de 80 000 entrées sur une année selon le classement fixé par le CNC.

  • 80 % sont des monosalles,
  • 10 % ont deux écrans,
  • 10 % possèdent trois écrans (soit seulement deux Scènes nationales).
LUX, Scène nationale de Valence
Équinoxe, Scène nationale de Châteauroux
TAP, Scène nationale de Poitiers
La Comète - Scène Nationale de Châlons-en-Champagne
Tropiques Atrium, Scène nationale de la Martinique